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noirceur et solidarité

On connaît aujourd’hui une matinée particulièrement sombre. Un ciel d’un gris sinistre surplombe Montréal ; la seule lumière qui pénètre mon chez moi est celle qui reflète sur le sol mouillé par le rideau de pluie qui est tombé sur les élections québécoises. Même mes chattes — qui sont typiquement vilaines à cette heure-ci — sont tranquilles, acceptant paisiblement cette noirceur matinale.

Sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, c’est une toute autre histoire. Il y a tellement de bruit, tellement de colère, tellement de rigolade enfantine. J’éprouve un grand malaise en observant plusieurs de mes ami.e.s, collègues et connaissances débordant de joie à l’idée de passer quatre années sous la dictature d’un gouvernement Libéral majoritaire.

La défaite historique du PQ était bien méritée. Ils tenteront de blâmer Québec Solidaire, ou les riches étudiant.e.s Ontarien.ne.s de McGill, ou l’apathie électorale, ou un joyeux troupeau de méchants Musulmans, mais à la fin de la journée, ils sont les seuls responsables de leur propre fin. Le parti n’a pas connu une situation si précaire depuis plus de 40 ans. L’heure est arrivée où les péquistes doivent prendre conscience du fait que leur parti a perdu son âme depuis déjà plusieurs lunes. Le rêve a disparu, René est mort, et tout ce qui reste aujourd’hui est un parti qui gigote comme un poisson hors de l’eau et qui gifle librement le monde en espérant que quelqu’un le relancera dans le ruisseau. On ne peut pas déclarer une guère identitaire polémique tout en apaisant au plus petit dénominateur commun. Pas vraiment à gauche, pas vraiment à droite, pas vraiment prêt à s’engager à quelque chose d’autre qu’à une vision limitée de qui est et qui n’est pas Québécois.e.s.

Il y a eu un moment avant que Marois concède les élections et son poste de Première Ministre à Couillard et ses libéraux qui semblait emblématique de la campagne du PQ, et peut-être même les derniers vingt ans de leur existence. Les futures candidat.e.s à la chefferie étaient déjà sur scène, couteaux en main, tentant désespérément de motiver leurs soldats fidèles. Après avoir scandé «on veut un pays » avec une énergie péniblement monotone, Bernard Drainville, l’auteur de la charte controversée du PQ qui a joué un rôle primordial dans le déclin ultime de son parti, voulait énumérer toutes les grandes choses que le PQ continuera à accomplir malgré leur défaite. Et voilà, une pause sanglante de 10 secondes qui nous causa a se gratter la tête, croyant que nos télés étaient décalées. «On va continuer » cria-t-il, et puis poof, plus rien. Voilà la campagne du PQ : éphémère, effrayée, mortelle, l’ombre de son passé. Il pu éventuellement se replacer et lança un « de se battre », mais c’était trop tard. Tous ceux et celles qui écoutaient le savait, le PQ allait disparaître pour toujours dans cet espace interstitiel, entre sachant qu’il fallait continuer sans pour autant savoir vers quoi se diriger.

Je ne verse aucune larme dans leur défaite. Mon cœur s’étend aux baby-boomers qui ont grandi avec le parti sans jamais le questionner, car je sais qu’ils doivent connaître une tristesse profonde aujourd’hui. Il reste que c’est leur loyauté éternelle dénuée de tout critique qui donna vie à ce monstre méritant d’être éteint.

Je ne me réjouis pas non plus de la victoire absurde d’un des partis politiques les plus corrompus dans l’histoire du monde occidental. Un parti dirigé par un homme qui a démissionné de ses fonctions de ministre de la santé pour se retrouver immédiatement dans un groupe de lobby revendiquant la privatisation de notre système de santé. Un parti borné qui a incité une des plus grandes crises sociales dans l’histoire de l’Amérique de Nord. Un parti qui impose des réformes d’impôts régressives tel que la Taxe Santé qui s’attaque d’une façon démesurée aux femmes et aux communautés racialisées. Un parti qui détruit nos ressources naturelles pour des cennes noires avec un engagement bien trop enthousiaste. Un parti qui est tellement déconnecté des enjeux Autochtones qu’il refusa de remplir un questionnaire fourni par les Femmes Autochtones du Québec. Un parti qui se contente d’avoir l’appui inconditionnel du vote Anglophone sans jamais lui offrir quelque chose en retour.

Malgré tout cela, beaucoup de mes contacts Facebook se réjouissent : des blagues de « pasta », des déclarations que les déménageurs n’ont plus besoin de venir les déplacer, des insultes indignes dirigées aux méchants « séparatistes », et des cris de cœur à l’accent Canadiana. Je m’imagine que c’est parce que plusieurs d’entre eux ont ressentis que leurs identités et leurs cultures étaient sous attaque par l’aile xénophobique du nationalisme péquiste. L’importance de leur sentiment d’estime et de respect de soi dépasse de loin les manières par lesquelles leurs vies seront lourdement influencées par l’érosion de nos services publics et le pillage de nos terres. Ce n’est pas important combien de personnes vivront dans la pauvreté, ou seront incapables d’accéder à l’éducation, ou se verront refuser le droit à un système de santé universel. Ça n’aura pas d’importance aussi longtemps qu’ils ressentent que le droit d’être Anglophone ou le droit d’être Canadien est plus sérieux que tous les autres enjeux. L’identité éclipse le bien-être collectif. À chaque reprise.

Est-ce qu’on vote pour le parti clairement raciste et corrompu ou pour le parti moins-évidemment raciste mais quand même corrompu? Québec a choisi la porte numéro deux tout en rejetant l’idée que des alternatifs organisés et compétents existent. Il y a des grandes questions qui doivent être posées sur la tendance des médias d’ignorer les partis progressistes et de la population de dénoncer tout ce qui est gauche de centre comme étant irréaliste. Mais on gardera cette conversation pour un autre tantôt.

En attendant, la seule lumière que je remarque en cette journée de grisaille est l’arrivée de Manon Massé dans l’Assemblée Nationale. Avec elle, nous allons avoir une troisième voix qui défend la justice économique et la protection environnementale tout en tirant le signal d’alarme sur la route terrifiante sur laquelle nous nous dirigeons.

Je retrouve peu de consolation dans la noirceur et beaucoup de frustration dans la cacophonie. Que nous puissions éventuellement s’en sortir en réalisant que nous ne sommes pas destinés à devoir choisir entre les deux faces de la même pièce. Que nous puissions éventuellement réaliser que la seule chose qui aide la société à sortir de sa noirceur c’est un tout p’tit peu de solidarité.