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La petite vie des référendums

Quand j’y pense, mon introduction à la politique s’est faite durant le référendum de 1995. J’étais qu’un p’tit cul bilingue, reniflant et hypersensible, en 5e année dans une école privée française assez snob. De ce que je peux me rappeler, la majorité de mes camarades de 10 ans n’étaient pas trop favorables à l’idée d’un Québec libre. Qui sait pourquoi? Ayant 10 ans, notre analyse politique n’était sûrement pas très élaborée. Ma raison d’être contre était simple : un Québec souverain précipiterait un déménagement pour ma maman et moi. Que j’habiterais très loin de mon Papa Luc. Et c’était la seule raison dont j’avais de besoin pour vouloir que le Québec et le Canada essayent encore une dernière fois de se réconcilier.

Un de mes camarades de classe se trouvait être le petit-fils du Premier Ministre du Québec et parrain du mouvement souverainiste Jacques Parizeau. Il était un enfant relativement gentil. Timide. Un peu orgueilleux. Mais quand son grand-père prit le micro cette nuit fraîche du mois d’octobre, apparemment ivre et aigri acidulé par sa défaite, reprochant à l’«argent et le vote ethnique » de lui avoir refusé son pays, c’est certain que la table était mise pour que mon camarade se fasse tabasser sans relâche par les enfants de l’argent et des nouveaux immigrants qui l’entouraient. L’équipe administrative au grand complet est même intervenue pour que cessent les bousculades et pour nous rappeler que notre ami n’était pas responsable des égarements de son grand-père. Dire que c’était tendu ne rendrait pas justice à l’atmosphère du moment.

Une amie me raconta récemment que sa famille avait trop peur d’accrocher un drapeau canadien sur leur balcon dans un quartier montréalais principalement anglophone durant le référendum. D’autres se souviennent d’avoir été chassés de restaurants à l’extérieur du Québec pour avoir commis le simple crime de s’être parlés en français lors de vacances familiales.

J’ai l’impression qu’il n’y a pas tant de personnes au Québec qui songent à cette période de notre histoire avec tant affection. Des souvenirs jubilatoires et le référendum sont quand même assez paradoxaux. Mais personne n’a dit que ce genre de démocratie allait être facile. Ce n’est pas aussi simple que de cocher le nom de quelqu’un pour te « représenter ». C’est décider, littéralement, de l’avenir de plusieurs nations.

Ce n’est pas un après-midi à flâner dans un parc. C’est une réflexion. C’est des chicanes. C’est du travail.

Étant donné le grand coût émotionnel, spirituel et physique de ces questionnements, c’est raisonnable de se permettre du temps avant de recommencer l’exercice une autre fois, si jamais il y en a un autre. Attendre un peu pour voir où nos têtes seront rendues. Et 19 ans plus tard, l’indépendance récolte régulièrement l’appui de 30-40% de la population. C’est 3 ou 4 personnes sur 10 qui veulent la souveraineté. C’est jusqu’à 2,5 millions de nos voisin.e.s qui nous disent qu’ils veulent encore un pays.

Mais est-ce que c’est si déraisonnable de se poser la question de nouveau? Est-ce que nous ne devrions pas, en tant que peuple, se réjouir de l’opportunité de se faire réellement consulter sur quelque chose de temps à autre? Est-ce que qu’on se rend même compte de c’était quand 1995?

En 1995, les chansons #1 au Québec étaient « Pour que tu m’aimes encore » de Céline Dion et « Gangster Paradise » de Coolio. En 1995, « La Petite Vie » brisait tous les records de la télévision québécoise. En 1995, le Québec avait encore ses Nordiques. En 1995, l’ordinateur typique avait un grand 8MB de RAM et opérait avec un système innovateur du nom de Windows 95. En 1995, les lecteurs MP3 n’existaient toujours pas. En 1995, Forest Gump nous parlait de la vie et du chocolat.

En 1995, Robert Bourrasa, Pierre-Eliott Trudeau, Maurice Richard, Dédé Fortin, Pierre Péadeau et Marie Soleil-Tougas étaient toujours en vie, libres de voter.

En 1995, le bad-boy révolutionnaire Gabriel Nadeau-Dubois était à la maternelle. Léo Bureau-Blouin avait 4 ans. Martine Desjardins était pratiquement grand-mère à l’âge de 14 ans. Plus du tiers du caucus fédéral du NPD s’échangeait des sandwichs aux tomates dans les concombres. Même l’ex-candidate populaire à la mairie de Montréal Mélanie Joly était trop jeune pour se prononcer sur le futur du Québec.

Dans les élections du 7 avril, 26,4% des électeurs inscrits étaient né.e.s après 1978 et étaient donc trop jeunes pour voter la dernière fois que le Québec se penchait sur la question nationale. C’est plus de 1,5 millions d’électeurs et d’électrices au Québec qui ne se sont jamais même faits poser la question.

Pourtant nous continuons de traiter chaque élection comme s’il s’agissait d’un référendum sur un référendum. Nous continuons d’avoir si peur de nous faire poser une question que nous sommes prêt.e.s à délaisser tout autres enjeux.

Tout ça n’est pas sain pour notre santé personnelle ou collective, mes ami.e.s, et il faut que ça cesse. Parfois, nous avons besoin de nous lancer dans ces conversations difficiles. Parfois, nous devons nous réunir pour discuter de comment nous envisageons l’évolution de nos communautés. Parfois, nous devons conquérir des mauvais souvenirs et réessayer de se parler. Des consultations une fois par génération sont nécessaires pour retrouver un peu de paix, même si elle n’est que temporaire. Sans ses consultations, ou si on continue de les rejeter et de les démoniser à tout coup, nous allons continuer de nous perdre dans un cercle vicieux de peur, de haine et de paranoïa. Sans elles, nous allons nous retrouver vieux, amers, et franchement, sans vie.